Assistants parlementaires / collaborateurs d’élus :
QUESTIONS ET… REPONSES
« Tous les ouvriers (…) s’engagent à ne jamais introduire dans l’usine l’ingérence d’aucun syndicat et à reconnaître en tous points l’autorité unique de la direction… Les demandes et réclamations personnelles seront toujours examinées avec bienveillance, mais jamais aucune délégation ne sera reçue ».
Extrait du règlement des verreries d’Epinac – Saône et Loire, 1850
« Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination des conditions de travail (…) ».
Alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
Les collaborateurs d’élus existent depuis maintenant 33 ans au Parlement, mais vous en chercherez en vain une trace écrite dans les textes organiques ou réglementaires des Assemblées.
Cette double absence de base légale et de reconnaissance formelle pose, de longue date – puisque structurelles – des difficultés à la fois juridiques, politiques et sociales.
Quelles difficultés ?
Du point de vue du droit, tout pose problème ! qu’ils s’agisse des relations individuelles ou collectives.
A titre d’exemples, posent questions :
la nature juridique du contrat (rémunération sur fonds publics de travaux de collaboration à une mission de service public) – sa qualification (CDI… à terme) – les modifications unilatérales de la rémunération (couverture collective mutuelle ; régime de retraite supplémentaire) – la non prise en compte des heures supplémentaires – les conditions de rupture du contrat (indemnités de précarité ; « Loi » de récupération sur des indemnités légales ; règles applicables aux contrats successifs) – les droits de représentation (discrimination syndicale ; CHSCT) – l’obligation annuelle de négocier…
La raison en est qu’à défaut de choix de statut spécifique lors de la création des premiers postes d’assistants, s’applique le droit commun du travail. Mais que ce dernier, construit sur une relation binaire salarié / employeur, est impropre à saisir une relation de travail tripartite collaborateurs / élus / institution.
Car la désignation de l’élu comme unique employeur est d’évidence fictive, en tous les cas insuffisante, au regard d’une part des dispositions de nature réglementaires appliquées aux contrats d’assistants ; d’autre part de la nature même du travail de collaboration effectué dans l’intérêt de l’institution parlementaire.
C’est cette évidence que le tribunal de 1ère instance de la Cour de justice des Communautés européennes rétablit en disposant qu’il existe indubitablement « un lien juridique direct » entre l’assistant d’un membre du Parlement et le Parlement », ajoutant même « à quel point il serait artificiel de considérer que le Parlement est un tiers par rapport aux assistants ».
La fiction n’est donc juridiquement plus tenable. Nombre d’élus ne seront d’ailleurs pas pour regretter ce rôle d’employeur de composition qu’ils n’ont pas été élus pour jouer et dans lequel l’institution, en cas de litige, les abandonne quelque peu.
Du point de vue social, fait également défaut la reconnaissance d’une communauté de travail et professionnelle, dont l’existence a été confirmée, en tant que de besoin, par un arrêt de la Cour de cassation du 18 février 2004.
Au sein même de l’institution, cette unité sociale emporterait « normalement » qu’elle y soit représentée, qu’elle négocie ses conditions de travail et participe à un CHSCT par la voie de ses délégués.
On rappellera pour mémoire les conditions dans lesquelles il a été décidé de mettre un terme au contrat de groupe mutuelle des assistants de sénateurs, de même qu’a été imposé un choix de régime de retraite supplémentaire contre l’avis défavorable de la majorité des assistants.
Cette absence de visibilité s’avère en outre très pénalisante à l’extérieur. Ce métier, pour lequel existent maintenant des formations universitaires professionnalisantes, ne dispose pourtant d’aucune fiche ROM, ce qui rend évidemment tout projet de reconversion forcée ou volontaire plus difficile (et le renseignement de fiches de données professionnelles pré-imprimées impossible !).
Est-il besoin de souligner enfin que fait également défaut de respect d’une dignité professionnelle dont la méconnaissance est nécessairement récurrente, dès lors qu’aucune place n’est formellement attribuée dans les Assemblées aux assistants qui y travaillent ?
Qu’en outre leurs conditions de travail soient arrêtées sans consultation ou contre leurs avis même lorsqu’il est sollicité, est évidemment compris comme une marque de mépris.
Du point de vue politique, assemblées et parlementaires gagneraient en efficacité à professionnaliser et sécuriser – compte évidemment tenu de l’incontournable aléa du mandat et de l’intuitu personae – un personnel de haut niveau. De même que l’institution dans son ensemble gagnerait en image : l’écho donné sur la place publique à quelques contentieux opposant collaborateurs et élus n’est pas du meilleur effet.
La Haute assemblée, qui avait initialement – à contre cœur – suivi l’Assemblée nationale pour la création des premiers postes d’assistants parlementaires, l’a ensuite constamment précédée en définissant des règles de conditions d’emploi et de rémunération plus strictes et en adoptant un certains nombre de mesures plus favorables. Dans cette même logique, le Sénat pourrait à nouveau être initiateur.
Quelles solutions ?
Elles existent. Elles sont simples.
Juridiquement incontournable, techniquement possible, humainement souhaitable, l’élaboration consensuelle d’un statut propre aux collaborateurs d’élus ne dépend que d’une approche volontariste.
Par quoi a-t-elle été empêchée ?
Une contradiction d’abord, qu’il est plus que temps de dépasser ; des appréhensions ensuite qu’il est aisé de lever.
Elles résultent en effet d’une malformation originelle, reposant sur la croyance qu’il était possible « d’avoir des travailleurs sans avoir de salariés » et qu’il était donc également possible d’introduire au sein de l’Assemblée un corps nouveau qui resterait fantomatique.
S’agissant en premier lieu de la responsabilité de l’emploi, celle-ci doit être rétablie dans son exactitude : à l’institution la responsabilité administrative et financière ; à l’élu la liberté de choix, de rupture et de détermination des tâches, dans le cadre de l’exercice de son mandat.
Pour mémoire, l’AGAS était signataire des premiers contrats d’assistants. Seule la volonté de préserver l’institution de toute responsabilité à cet égard a présidé aux décisions de créer cette association, puis de transférer à charge du seul élu cette responsabilité.
Le biais – la fraude ? – fait long feu : l’institution ne peut à la fois dénier toute implication et rester, par l’intermédiaire de ses organes dirigeants, membre de droit du CA et du Bureau de l’AGAS représentant la collectivité des employeurs. Un choix s’impose.
En réalité, nul besoin d’association écran. L’AGAS, dont les moyens de fonctionnement humains, budgétaires et matériels lui sont exclusivement fournis par le Sénat, peut aisément retrouver sa dénomination authentique : celle d’un service administratif chargé de la seule mise en œuvre des arrêtés de Bureau et de Questure. La représentation de la collectivité d’employeurs-élus doit être assurée pour la seule part de responsabilité assumée. L’institution doit l’être pour l’autre part relative aux conditions matérielles et financières d’emploi.
Les acteurs ainsi rétablis dans leur rôle véritable, un statut propre aux assistants parlementaires tenant compte des spécificités de la fonction peut être aisément envisagé dans le cadre d’une commission paritaire tripartite réunissant représentants des élus, de l’institution et des assistants, et formalisé par le biais de la convention, du règlement ou de la loi.
S’agissant de la place des assistants au sein des assemblées, là encore est collectivement refusé ce qui individuellement accordé. Or, ni fonctionnaires ni élus, les assistants n’en participent pas moins effectivement au travail parlementaire et font, à ce titre, tout aussi effectivement partie du personnel de l’institution !
La meilleure garantie que les assistants restent à leur place ne serait-elle d’ailleurs pas que cette place soit clairement définie ?
A l’égard des élus doit être assurée leur totale liberté de choisir qui ils emploient, ce qu’ils en attendent et de se délier – dans la seule limite légale de l’existence de motifs objectifs, qui prennent en compte la relation de confiance propre à ces contrats.
A l’égard de la fonction publique parlementaire doit être réaffirmée l’absence de « concurrence déloyale » : il est nécessaire de redire que les assistants, qui ne sont pas recrutés sur concours, ne peuvent prétendre à être d’emblée « fonctionnarisé ».
Aux assistants doit être assurée une plus juste compensation financière de leurs contrats par nature aléatoire, de même que doit être recherchée une évolution professionnelle dans et hors des Assemblées par l’ouverture de voies qui tienne compte de leur expérience.
Enfin, cette reconnaissance d’une communauté propre de travail doit être rendue visible : dans le répertoire téléphonique, par l’édition d’un trombinoscope interne, par une adresse « senat.fr »…
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Hors le chapitre XXI de l’Instruction générale du Bureau du 14/12/1960, inséré par l’arrêté du Bureau n° 80-119 du 17/12/1980, qui ne se réfère aux assistant de sénateurs qu’en ce qui concerne le laissez-passer (alinéa 1er), les prérogatives strictement attachées au mandat de sénateur auquel ils ne peuvent se substituer (alinéa 2) et la nécessaire validation du sénateur pour le dépôt des propositions de loi ou de résolution, amendements, questions écrites ou orales, demande d’étude ou de renseignement » (alinéa 3), sans référence aucune à une disposition fondatrice – tel l’article 8 de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958 relatif à la création d’un corps de fonctionnaires parlementaires.
Et c’est bien pourquoi l’intervention du législateur s’est avérée nécessaire par exemple pour créer le groupement d’entreprise ou, plus récemment, en matière de portage salarial.
T.CE 19/06/2007 aff. T-473/04 CUERNO / Commission, point 52.
Arrêt précité, point 69.
Les assistants travaillant dans les locaux du Palais sont soumis aux mêmes conditions de sécurité que les autres personnels. Ainsi, leur présence dans les bureaux est quotidiennement relevée par les services administratifs et un assistant volontaire est désigné responsable de la sécurité de toutes les personnes présentes par étage. S’agissant des assistants de province, leur exercice professionnel en permanence parlementaire pose ces questions de sécurité et de conditions de travail différemment, mais ne les supprime bien évidemment par pour autant, de même que dans toute entreprise dont les salariés travaillent dans des locaux distincts.
On peut se demander si le fait qu’une partie du personnel bénéficie d’une représentation syndicale tandis qu’elle est refusée à une autre dans le même cadre d’emploi, ne constitue pas une discrimination prohibée pénalement sanctionnée.
Les nouveaux élus ont été « invités » à adhérer d’emblée à ce régime pour leurs… futurs assistants.
A défaut de définition de métier, l’assimilation au corps des « gens de maison » souvent faite peut prêter à sourire. Un peu moins au regard des nouvelles règles d’Offre Valable d’Emploi.
Il fut un temps, bref, en 1996, où les représentants des assistants étaient reçus par le Président de l’AGAS avant – et non après ! – qu’il en tienne l’assemblée générale.
Et tels étaient les termes et l’ambition d’origines en 1976.
Sans développer ici, nul n’ignore que l’AGAS ne décide… rien, hors demander au Bureau du Sénat d’arrêter ce qu’elle suggère.
Sauf à encourir à nouveau le grief de discrimination, n’oublions pas que seul le ou les syndicats professionnels représentatifs sont habilités à négocier les conditions de travail. Le principe prohibe, en présence d’un tel syndicat, le recours à des associations professionnelles parallèles.
Qui a notre préférence.
Sur la nature juridique du contrat de collaborateur d’élu, bien qu’il existe d’ores et déjà un – maigre – statut de collaborateur de droit public -, soulignons que le débat public / privé ne nous semble pas une question majeure.
Sauf à admettre que les élus rémunèrent, aux frais de la République, des services sans liens avec l’exercice de leur mandat !
Et tondre le gazon n’est évidemment pas une tâche qui relève de l’exercice du mandat sénatorial. Dans le seul cadre du mandat, des fiches de postes peuvent être aisément établies, auxquelles pourrait correspondre une grille de salaire, aux fins de faire la part, en tant que de besoin, entre les tâches de secrétaire, juriste, communicant et conseil.
Selon les chiffres INSEE 2006, un cadre du secteur privé en Ile-de-France est rémunéré, à qualification et ancienneté équivalente, 25 % de plus qu’un assistant parlementaire, compte non tenu au surplus de l’aléa renforcé de son contrat.
Anecdotiquement selon le point où l’on se place, il aura fallu quelques heures de sévère réflexion pour modifier les termes du menu du restaurant affiché quotidiennement dans les couloirs, à l’origine dressé à la seule intention des fonctionnaires, et trouver, selon les directives, comment y adjoindre les assistants, sans les inclure dans le personnel…
Auteur : Agnès Leuchter